L’innovation ne se situe plus uniquement dans la high tech, mais aussi dans la low tech. Par exemple, le Grand Prix de l’innovation 2020 “Le Monde” a été remis à la voûte nubienne, une technique de maison en terre qui a bien… des milliers d’années d’existence.
Un peu comme la Renaissance s’inspirait de l’Antiquité grecque et romaine, un courant d’innovation tire son inspiration de ces deux sources : des techniques du passé et de la nature (voir cette vidéo sur biomimétisme).
Notre société, depuis deux siècles, vit dans l’idée d’un progrès constant et illimité. La technologie y est toute puissante et résout ou résoudra tous nos problèmes.
Avec le XXIème siècle, quelques grains de sable viennent gripper cette théorie. La croissance, sur laquelle se basent les équilibres économiques, dépend de l’énergie, essentiellement carbonée, et de matières premières dont on commence à entrevoir les pénuries.
Ainsi, les estimations (datant de 2012) faisaient part de réserves connues pouvant subvenir à la consommation : Zinc (20 ans) ; Or (20 ans) ; Hélium (23 ans) ; Cuivre (38 ans) ; Uranium (46 ans) (Sciences et vie 2012).
Le pic de production pétrolière, quand à lui, est largement dépassé depuis 2008-2009.
La stratégie affichée sur le changement climatique consiste à diminuer les émissions de CO2 afin de limiter les conséquences plutôt que de les subir.
L’impact humain (et ses organisations) serait beaucoup plus élevé si l’on se contentait se subir plutôt que de prendre des mesures anticipatives afin de limiter les dégâts liés au changement climatique.
La croissance dans un monde aux ressources limitées
Vous avez sans doute déjà lu ou entendu parler du sujet. Généralement, on tombe soit sur des arguments très partisans, soit sur des chiffres assez compliqués à décrypter, ou à se représenter.
Voici un éclairage assez marquant qui illustre la croissance de ces 20 dernières années.
Si la croissance continuait sur sa lancée
Prenons un taux (moyen) de croissance mondial autour de 2% (en fait il est plus élevé) qui est un objectif budgétaire pour les pays développés. La consommation d’énergie est corrélée à ce taux. Et bien ce taux implique un doublement de la consommation énergétique tous les 35 ans !
Autre chiffre emblématique : de 2001 à 2019, l’humanité a consommé 2 fois plus d’énergie que durant l’intégralité de l’histoire de l’humanité auparavant.
A ce rythme, dans 450 ans, on consommerait 8 000 fois plus d’énergie d’aujourd’hui. Dans 1600 ans, il faudrait l’énergie produite par le soleil. Et 35 ans plus tard, on aurait besoin de 2 soleils. Et peu de temps après, toute l’énergie de la galaxie y passerait.
Le modèle basé sur la croissance (et donc sur la croissance de la consommation d’énergie) n’est pas viable. Mais… c’est le seul que l’on connaisse aujourd’hui.
Et remarquez que nous n’avons pas évoqué les problèmes liés aux gaz à effet de serre.
Il est temps d’imaginer autre chose pour équilibrer les organisations, les modes de production, les échanges qui régissent la vie des humains. Pour la pérennité de tous.
Engagements politiques et conséquences
Les eurodéputés ont adopté la loi climat qui vise à faire respecter les engagements européens dans le cadre de l’accord de Paris pour lutter contre le réchauffement de la planète. L’Union Européenne devra atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, notamment en réduisant dès 2030 ses émissions de gaz à effet de serre de 60 %.
Mais reste à inventer les modèles qui vont avec.
Quelles seraient les actions à mettre en place pour tenir ces engagements ?
- optimiser la consommation
- mieux utiliser l’existant
- optimiser les déplacements (emplacement des habitats par rapport à l’activité professionnelle et les lieux de vie), le transport de marchandises
- décarboner les transports et la production d’énergie d’une manière générale
- décarbonater les industries et l’agriculture
- privilégier le réemploi plutôt que le recyclage ou le neuf
Qu’en retenir ?
De ce rapide tableau on peut déduire qu’il faudrait aussi moins corréler la production de richesse au volume d’énergie nécessaire.
Et pour cela :
- diminuer les besoins en énergie et en ressources par habitant
- utiliser plus efficacement l’énergie, y compris pour les productions existantes décarbonnées
- utiliser les énergies renouvelables, et non émettrices de produits déséquilibrants les écosystèmes
Pour y parvenir, il faut innover. Inventer les technologies (et les usages) qui pourront répondre à ce cahier des charges.
Qu’est-ce que la high tech ?
La high tech (traduite par haute technologie ou technologie de pointe) regroupe les secteurs de l’aérospatiale, des biotechnologies, des technologies de l’information, des nanotechnologies, de la robotique.
En 2020, on peut dire que le high tech touche tous les pans de notre quotidien : les technologies de l’information sont omniprésentes (rien que par nos smartphones, internet, le télétravail, le e-commerce…), la santé, l’agriculture sont liées aux biotechnologies, l’industrie à la robotique…
Même dans la communication, le high tech est un argument marketing, gage de performance et de simplicité.
Dans l’habitat, on trouve ses représentants dans la domotique ou la maison connectée. Ces technologies trouvent leur utilité dans la gestion de la maison : température, lumière, sécurité, communications, économie d’énergie. Elles sont là pour faciliter la vie des occupants, en prenant la main sur des tâches de gestion, de mesure, d’assistance.
La haute technologie dans l’habitat est également présente dans l’industrialisation de la fabrication des matériaux : procédés chimiques (colles, isolants, bétons), processus de fabrication complexes comme des nouveaux types de verre, les machines liées à la construction, à la transformation, ou à l’extraction des matières premières, le stockage et la restitution des énergies : panneaux solaires, batteries, chaudières à très haut rendement, pompes à chaleur…
La majorité des technologies high tech sont itératives (suite de fonctions suivant le contexte) et ne peuvent fonctionner sans apport énergétique. En gros, elles sont fortement dépendantes de l’extérieur (énergie, installation, fonctionnement).
Une maison est déjà complexe à construire. Mais quand on lui ajoute ces dispositifs, elle devient complètement dépendante. La plupart des gens serait bien incapable de fabriquer ne serait-ce qu’une fenêtre ou un mur… Alors réparer un problème électronique (carte mère de la chaudière ou du routeur domestique)…
L’obsolescence programmée
C’est une procédure qui détermine la durée de vie d’une machine, d’un objet, dans le but de le remplacer. Il doit alors être détruit (ou recyclé).
A chacune de ces étapes (création, destruction ou recyclage), on produit de la “valeur”.
L’obsolescence illustre parfaitement l’esprit de nos organisations. Le rendement sur investissement, le besoin de « croissance » pour équilibrer les budgets publics impliquent une production que ne prend pas en compte la raréfaction des matières extraites, ni l’origine des énergie nécessaires au fonctionnement de la société humaine.
Cette valorisation est en totale opposition avec les objectifs de réductions des énergies carbonées ou des matières premières en raréfactions et parfois conduit à l’absurde (Prix du baril négatif, objectif de croissance du PIB pour équilibrer un budget…).
Situation paradoxale qui semble insoluble tant que la « valeur » sera associée à la croissance de la production d’énergie et de l’extraction de ressources.
Des principes de réponses
De la même manière que pour l’énergie, les grands principes sont alors :
- le développement de l’économie circulaire (diminuer les extractions de matières premières)
- l’augmentation de la durée de vie des objets
- la sensibilisation sur la qualité des produits, de leur empreinte sur l’environnement et le climat
Ces éléments de réponse font partie d’une catégorie que l’on pourrait appeler « une décroissance accompagnée ou consentie ». Décroissance au sens où on la décrit aujourd’hui. Parce que la valeur qui est créée ici n’est absolument pas prise en compte dans le système actuel.
A noter que jouer la carte de la menace d’appauvrissement généralisé face à la nécessaire transition, c’est faire peur pour ne pas changer et renoncer à inventer un futur désirable. Car appauvrissement il y aura assurément, si on ne change pas les règles du jeu.
Le low tech
Dans toutes ces considérations, comment tirer partie de technologies pragmatiques ?
Si l’on peut assez facilement définir le high tech, il est beaucoup plus difficile de le faire pour le low tech.
En fait, le low tech est un pied de nez au high tech, qui parfois se justifie plus par son statut que par sa pertinence réelle. Surtout, si on prend l’intégralité du cycle de vie de la technologie et son utilité réelle.
Définir le low tech
La définition n’étant pas établie, on cerne le low tech de cette manière :
- Simple, pratique, économique : accessible au plus grand nombre
- Durable
- Local (facilité d’entretien, de réparation), produit dans un cadre social “acceptable”
- Plus proche de l’artisanat que des techniques industrielles
- Recyclable ou biodégradable.
- optimise la consommation de l’énergie et de l’énergie grise
- limite globalement l’impact environnemental global
- maintient un confort contemporain : il ne s’agit pas de revenir au moyen âge !
et enfin, pour savoir si une technologie est low tech, on peut se demander si elle diminue ou augmente la dépendance, la complexité.
En résumé, le low tech est la technologie du pragmatisme, de la sobriété.
Comment s’illustre le low tech dans l’habitat ?
Il s’illustre par :
- des principes bio climatiques
- des matériaux bio sourcés (isolation…)
- l’utilisation du déphasage comme principe de régulation thermique
- l’utilisation des propriétés de matériaux
- l’implantation géographique afin de limiter les transports longs (et favoriser les transports doux : marche, vélo…)
- le fat de limiter la surface
Voici quelques exemples de low tech dans l’habitat :
Chauffage solaire version ardoise (lowtech lab)
Chauffe eau solaire (en savoir plus)
Habitation légère, 35m² (en savoir plus), en tant qu’extension d’une maison individuelle par exemple.
On peut aussi ajouter, les poêles à bois de masse, mais aussi les matériaux qui ont des propriétés isolantes (paille, chanvre, liège), de masse (terre, pierre), ou le bois dont on peine à trouver un équivalent (coût, résistance au feu, à l’eau, régulation hygronomique, conductivité, densité, rétractabilité/gonflement, torsion, pression, renouvelable, durable…)
Comparatif high tech / low tech
Avantages du high tech
- le hight tech est générateur de “croissance” (au sens actuel)
- une promesse de progrès
- il pousse à la recherche (y compris fondamentale)
Points faibles
- dépendance vis-à-vis des ceux qui procurent la technologie (aspect géopolitique). A ce titre la dépendance de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine est catastrophique : Intelligence artificielle, système de géolocalisation, conquête spatiale et retombées scientifiques, moteurs de recherche, réseaux sociaux… quand on considère l’importance et l’influence qu’elles ont prises dans notre quotidien.
- dépendance aux normes, protocoles qui ne sont pas éternels et obligent à se rééquiper
- fragilité
- fonctionnement parfois compliqué, y compris à l’usage
- ressources qui se résorbent
- polluants, industrie réticente à se transformer pour prendre en compte les aspects décrits ci-dessus
Avantages du low tech
- il est durable
- accessible
- il donne de l’autonomie (en ressource), diminue les besoins externes (énergie)
- adaptable
Points faibles du low tech
- souffre d’une image “alternative” qui ne répondrait pas aux standards actuels
- pas encore stabilisé, souvent à l’état expérimental
- ne s’adapte pas à tous les contextes (urbain par exemple)
- risque de décrochage d’abord économique, plus géopolitique si l’on se tournait massivement et uniquement vers le low tech vis-à-vis de ceux qui ont développé des technologies disruptives y compris celles qui peuvent aller dans le sens d’une utilisation durable des ressources
Rationalisation des usages
Le graphique ci-dessous est une lueur d’espoir. Meilleur, plutôt que pas cher.
Les requêtes mondiales dans google incluant le mot “pas cher” diminuent de moitié en 15 ans, et représentent maintenant moins du quart des recherches incluants “meilleur”.
Reste à savoir ce que l’on met dans “meilleur”. Mais le premier facteur n’est pas le prix. La valeur ne se situe pas qu’au niveau financier, mais dans la comparaison entre différents produits d’une même classe… ou, anticipons, d’un même usage.
Il est important de souligner ce point : la notion de pertinence illustrée ici par la requête « meilleur » entre dans le besoin collectif. Ce qui constitue une bonne introduction au low tech.
Conclusion
Pertinence et complémentarité des usages
Faut-il attendre l’épuisement des ressources pour passer à des technologies plus simples, ou déjà prendre en compte la durabilité, les usages, les fonctions des objets sur le long terme ?
Nous sommes en train de remettre au goût du jour des technologies obsolètes, mais issues d’un choix restreint de ressources et d’un processus d’amélioration parfois millénaires.
Cette situation de contrainte de fait, nous pouvons maintenant la rationnaliser par la perception de notre impact sur notre environnement et de la diminution des ressources.
Qui aurait pu mesurer le changement climatique à l’échelle de la planète il y a 1000 ans ? Qui aurait pu modéliser son évolution sur 100 ans et son impact sur nos modes de vie ? Sans les technologies de l’information de mesure, la globalité du changement climatique serait peu lisible.
La haute technologie nous est indispensable pour apprendre à gérer notre impact à modifier notre environnement.
Il est compliqué de piloter un véhicule qui transporte 7,8 milliards d’êtres humains et de répondre à leurs besoins.
Et paradoxalement, l’émergence du low tech est une réponse aux informations que nous transmet le high tech.
Ne pas être aveuglé par les paillettes des hautes technologie et ne pas mépriser les “technologies simples”
La haute technologie peut également être un outil efficace pour mesurer l’efficacité la complémentarité de technologies hétérogènes et intermittentes : panneau solaire thermique, photovoltaïque, poêle à bois, éolien, stockage des calories par eau chaude, panneau air chaud, électricité du réseau… et inertie thermique du bâtiment.
Alors, un peu de pragmatisme ne peut pas faire de mal.
Ressources :
- https://lowtechlab.org
- https://www.lowtechmagazine.com/
- https://wiki.lowtechlab.org
- https://www.lafabriqueecologique.fr/app/uploads/2019/03/technologies-sobres-et-résilientes.pdf
- D’autres articles sur l’énergie :
Photo Erik Hendel de Pixabay
Bravo pour l’équilibre que tu as su trouver, notamment en ne diabolisant pas la high tech sans laquelle nous ne saurions pas qu’un dérèglement climatique est en cours !
Bonjour Yann, Merci pour ton commentaire !
L’enjeu se situe dans la connaissance et le bon usage des technologies. Parfois les émotions, en particulier au sujet de l’écologie, prennent le dessus, supplantent les arguments « rationnels ».
Merci Geoffrey pour ce nouvel article plein d’espoirs… Il est possible d’envisager d’autres solutions très convenables, économiques et salvatrice pour la planète. Tes articles reboostent quand on ne croit plus en une issue positive. Merci
L’enjeu est bien de créer des technologies low tech qui seront pertinentes pour faire face aux effets du décrochage économique sur la SECU et les retraites… A mon sens, l’innovation dans le low tech devrait se focaliser sur ces 2 enjeux qui sont aujourd’hui les 2 gros arguments pour ne pas voir la réalité des partisans de la croissance sans limite.
Merci pour ton article sage et pas polémique. Car ça aussi c’est l’avenir…
En tous cas, tu prêches une convaincue, mais j’en apprends toujours avec toi. Merci donc pour ton article et je cours en voir un autre que tu proposes en passant sur le thermique…je prépare justement mon projet pour pré-chauffer l’air qui entre dans la maison l’hiver par la VMC double flux…je sais, j’aurais du prévoir la maison autrement, mais maintenant, faut réfléchir avec l’existant…
Bonjour et merci pour ton commentaire !
Alors il y a beaucoup à dire sur la VMC double Flux. (sur les gains obtenus en prenant en compte la globalité de l’installation, les réglages, l’entretien)… des points en prendre en considération avec ce que permet de faire une VMC simple flux (en particulier sur la gestion de l’humidité relative et le confort obtenu)
J’ai beaucoup aimé ton article. J’ai discuté récemment avec un ami qui a lancé une startup pour des stores intégrés dans les fenêtres et qui permettent, de par leur inclinaison fixe, de profiter de l’ensoleillement en hiver et d’atténuer les effets du soleil en été (ils ont appelé leur produit Immoblade). Le lowtech a semble-t-il le vent en poupe. Pourvu que ça dure !
Merci Véronique ! je veux bien plus d’infos sur le store de ton ami ! Tu peux m’envoyer un lien ?