Connaissez-vous Växjö, cette ville du Småland, province au Sud-Est de la Suède ? Peut-être pour ses beaux lacs ? Växjö prend en 2007 le devant de l’actualité en étant élue ville la plus verte d’Europe. Elle renouvelle la performance en 2018, en étant « Feuille verte européenne 2018 ».
Ce statut n’est pas tombé du ciel. C’est une histoire de près de 50 ans qui perdure.
Växjö, ville écologique modèle ?
En tout cas, son exemple mérite d’être étudié de près.
Le taux d’émission de CO2 y est deux fois moins élevé qu’en France (1,9T/hab/an, contre 4t/habitant). Elle est également prise en exemple pour avoir concilié croissance économique et baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES)… Entre 1993 et 2014, elle réussit, en moyenne, à avoir une croissance de 1,33%/an et une baisse des émissions de GES de 3,7%/an, et tout cela avec une population qui augmente fortement…
Comment y est-elle parvenue ? Avec une volonté politique forte sur le long terme, des innovations techniques. Et en s’attaquant aux 3 dimensions de la pollution : énergie, transport, construction.
Lac asphyxié et crise pétrolière
Alors que la ville connaît à la fin des années 60 un fort développement économique, l’histoire commence par… deux crises. Celle du premier choc pétrolier. Et une autre encore, locale, cette fois-ci…
Premier déclencheur : à la sortie de l’hiver de 1970, au dégel, des dizaines de poissons sont retrouvés morts à la surface des lacs autour de la ville. Après enquêtes et analyses, l’origine est due à la pollution des eaux par les industries locales et l’agriculture.
La municipalité réagit et implique les concitoyens via des programmes de réhabilitations et de bénévolat. L’initiative est un succès. La ville sera dorénavant verte… pour longtemps
Utilisation de la biomasse
1970-80 : L’industrie forestière est très intense autour de la ville. Le choc pétrolier aidant, l’idée vient alors de créer une centrale utilisant les déchets de bois afin de produire eau chaude pour le chauffage et vapeur pour l’électricité. La centrale ouvre en 1980. La production couvre rapidement 90% de l’eau chaude et du chauffage des logements et fournit 40% des besoins électriques de la ville. Ceci constitue une première pour l’époque, alors que dans le monde le nucléaire est boosté par la crise du pétrole.
Cette activité génère un cercle vertueux. Nouvelles sources de revenus pour les propriétaires des forêts locales, et pour la ville via les impôts locaux.
Les émissions de dioxyde de carbone sont compensées par la plantation de nouvelles forêts, et la mise en place de filtres de plus en plus performants. On considère qu’elles sont 20 fois inférieures à la limite autorisée de l’époque.
Collecte des déchets.
La ville lance un service dédié à la collecte des déchets organiques, avec succès. Dès le lancement, les deux tiers des ménages se portent volontaires. Il faut dire qu’en échange, les habitants sont incités financièrement via une facture de ramassages des ordures allégée.
Ces déchets organiques, complétés par les boues des égouts, servent à la production de… biogaz qui alimentent les bus municipaux.
Embarquer les habitants
Cette politique contraignante ne peut réussir qu’avec l’adhésion des habitants. Pour cela, pas de secret, il faut les associer aux projets. Ils sont donc régulièrement informés de la politique de la ville et invités à des réunions pour les sensibiliser à l’écologie.
Les écoles ne sont pas en reste. En une génération les habitudes se fixent durablement. L’objectif que les plus jeunes doivent prendre des réflexes différents de leurs aînés est clairement affiché. L’écologie n’est pas un but à atteindre, mais un mode de vie.
La mairie donne des contreparties aux habitants pour les efforts consentis : aides à l’achat de véhicules électriques, accès au stationnement gratuit en ville, contributions à l’installation de panneaux solaires et pour les fonctionnaires, vélos gratuits pour se rendre au travail.
Contre le verrou de la voiture, 150 km de piste cyclables, et création d’autoroutes de vélos
Les suédois sont malgré tout attachés à leur voiture. 60 % des habitants de Växjö tiennent à leur véhicule.
A de sujet, Henrik Johansson, responsable environnement de la municipalité affirme ainsi : «Nous sommes dépendants des changements à l’échelle nationale et des groupes automobiles et énergétiques pour trouver des alternatives. On ne peut pas obliger les gens à laisser tomber leur voiture. Mais nous rendons de plus en plus attrayants les vélos et les bus, et de plus en plus compliqués les petits trajets en voiture. Et c’est assez simple de faire des améliorations rapides : les stations-essence versent déjà des biocarburants sans plomb pour que tout le monde commence à baisser ses émissions de CO2 ».
Aussi, les itinéraires de bus sont modifiés pour s’arrêter à proximité des nouveaux logements, et ceci, avant même leur construction. Les règles d’urbanisme prévoient de diminuer le nombre de places de stationnement.
Malgré toutes ces mesures, les nouveaux parkings à vélos à proximité de la gare de Växjö sont restés longtemps souvent vides. Il faut du temps pour changer les habitudes…
La mairie incite fortement à l’utilisation de moyens de transport doux. Ainsi, par exemple, les chasse-neige de Växjö commencent toujours par déneiger les 150 km de pistes cyclables.
Afin de se rendre d’un point à un autre plus efficacement, des sortes d’autoroute de vélos pour que les cyclistes ne soient pas dépendants de la circulation automobile (feux de signalisation, trafic…) Ainsi, les habitants peuvent rejoindre le centre-ville depuis les quartiers résidentiels sans croiser de voitures.
Au final, un foyer sur deux possède une petite voiture, ce qui peut-être considéré comme une petite victoire.
Constructions et habitats.
Les normes de construction par la ville sont plus strictes que les nationales. Résultat : la consommation énergétique est 30 à 40 % inférieure à la législation pour les nouveaux bâtiments. Le bois est privilégié. Outre les capacités de stockage de CO2, cette orientation est évidente par la situation de Växjö, entourée de forêts.
La majorité des bâtiments construits par la mairie sont en bois
De manière générale, les constructions en bois sont incitées fortement, y compris pour les immeubles. Car, rappelons le : le bois, quand il est exploité correctement, est un matériau renouvelable, aux nombreuses qualités, et dans la majorité des cas une alternative raisonnable au béton et l’acier…
Les immeubles d’habitations en bois de Växjö comptent parmi les plus hauts du monde.
« Une forte augmentation des taxes sur les énergies fossiles et une réduction des taxes sur tous les les types d’énergie renouvelable ».
ainsi résume sa politique Bo Frank ancien président du conseil municipal
Le virage vert de la Suède facilité par…
Il est à noter que la transition écologique est facilitée en Suède par l’absence de lobby sur le pétrole ou sur le charbon, même si le pays a une industrie sidérurgique et automobile importante… Le pays vise la neutralité carbone en 2045.
La Suède a ainsi réduit ses émissions tout en maintenant une forte croissance économique, se classant au premier rang mondial en matière d’environnement.
La Suède se distingue également par :
- la décentralisation : chaque commune a les moyens de proposer des aménagements correspondants exactement à ses besoins.
« La principale différence entre les pays scandinaves et les autres pays européens concerne la décentralisation. Cela nous donne beaucoup de pouvoir et de liberté au niveau local. Nous sommes libres de définir nos propres règles en matière de circulation, normes pour les bâtiments et consommation d’énergie. Nous avons donc, au niveau local, de quoi faire bouger les choses. A Växjö, nous avons tous les outils dont nous avons besoin. »
Bo Franck, ancien maire de Växjö
- Un conseil du climat, constitué d’experts indépendants, veille aux engagements pris par le gouvernement afin de tenir les engagements de la COP21. Chaque année, le gouvernement rend des comptes au Parlement sur ses choix budgétaires au regard de la lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, le gouvernement présente tous les 4 ans son plan d’action.
Conséquences : Cette visibilité donnée au citoyen permet de faire comprendre les engagements sur le long terme, malgré les contraintes financières (ce que la France n’a pas su faire…) La taxe carbone y est la plus élevée au monde. Lors de son introduction en 1991, elle s’élevait à 24€ la tonne. En 2002, 25 % des Suédois seulement étaient favorables à cette taxe. Aujourd’hui, cette taxe est majoritairement acceptée alors qu’elle dépasse les 120€.
Organisme de contrôle indépendant, objectifs à longs termes
Comment vérifier que les orientations prises correspondent aux objectifs affichés ?
En 1995, la municipalité prend la décision de travailler avec la SSNC (Swedish Society for Nature Conservation) la plus grande ONG environnementale de Suède. Concrètement, l’ONG rencontre directement les entreprises et les citoyens. Chacun pouvait faire part de ses idées et alimenter ainsi ce qui deviendrait l’Agenda 21 local. Initialement prévue pour 3 ans, cette coopération s’est finalement installée dans le temps.
Aujourd’hui, le plan annoncé en 2019 est le plan “Hållbara Växjö 2030” (Växjö durable 2030) que vous pouvez télécharger [ici en suédois] et [ici en français], attention, ce n’est pas une traduction officielle, mais une traduction automatique de google].
On y voit que les objectifs ne sont pas que des chiffres de réduction des énergies fossiles, de la pollution, mais un programme qui inclut tous les secteurs : transport, éducation, santé, construction, emploi, économie, démocratie et vie politique, sécurité…
Växjö aime son statut de ville la plus verte d’Europe. C’est son identité, sa fierté, son moteur pour inscrire durablement ses principes que nous appelons “écologiques”.
Växjö, fiche d’identité et chiffres clés
Suède, Province de Småland
85 000 habitants, 2 895 hab/km²
Superficie : 29,29 km²
1 université, 8 000 entreprises env.
Objectifs : être une ville sans carbone d’ici à 2030
- Convertir 30 % des terres agricoles en cultures biologiques,
- Réduire de 20 % la consommation de papier,
- Réduire de 20 % par personne la consommation d’électricité,
- Augmenter de 20 % la circulation cycliste en ville,
- Augmenter de 20 % l’utilisation des transports en commun.
Conclusion : Que retenir de l’histoire de Växjö ? :
Chaque territoire a ses propres particularités, sa culture, une géographie, un passé, des ressources et un tissu économique. Cependant Växjö est assez emblématique. Une prise de conscience qui provoque des actions sur le long terme.
- La transition est longue, près de 50 ans depuis les premières mesures (1970) pour un objectif de neutralité carbone prévue au mieux pour 2030. 65 ans au total !
- A l’origine de la prise de conscience, une crise écologique (pollution des lacs) et une crise énergétique
- Avoir des choix politiques forts et durables
- Embarquer la population, les orientations financières ne peuvent être imposés sans explications, visibilités, et contreparties
- Favoriser des innovations technologiques (centrales eau chaude et électricité)
- Profiter de ressources énergétiques locales (ici le bois)
- Agir sur tous les secteurs polluants
- énergie
- habitats
- transport
- agricole
- vie des habitants au global
- Valider les orientations choisies par l’administration en place par des organismes indépendants
- Décentralisation forte pour que les communes puissent adapter les objectifs écologiques globaux et leurs besoins
Pour aller plus loin :
- le site de la marie de Växjö : https://www.vaxjo.se/
- Le plan 2030 : en suédois (.pdf), en français (.pdf),
attention, traduction non officielle via google translatif.
SU-PER intéressant comme article !
Merci Geoffrey, j’ai un petit faible pour l’écologie mais c’est très instructif de rentrer dans le coeur du fonctionnement d’une ville jouant le jeu à 100% !
Pour moi il est certain qu’il y un ingrédient à la base de tout : la mobilisation collective. Et il semble que les habitants de Växjö l’aient très bien compris !
Un chiffre m’inquiète un peu cependant… Même la ville la plus verte du monde ne vise la neutralité carbone qu’à horizon 2045. Est ce que ce les dégats ne seront pas alors irréversible ? Et que dire des villes qui n’ont même pas cette thématique dans leur feuille de route…
En tous les cas, encore merci pour cet article 🙂
Merci Guillaume. Oui, il reste encore beaucoup de boulot pour faire passer des messages positifs et dépasser un futur « qui fait peur »…
Hello,
Je m’appelle Florine. Je découvre ton blog avec grand plaisir et te remercie pour cet article qui est très intéressant. Pour moi, Växjö est indéniablement un exemple à suivre en matière de développement durable. ^^